Il faut mettre de tout autres priorités dans les soins de santé que celles qui sont définies aujourd’hui par les experts, estiment les citoyens. Tout d’abord, la qualité de la vie passe avant la prolongation de l’espérance de vie. D’autre part, les citoyens prônent une politique axée sur la santé et non plus sur la maladie. Ils veulent que l’accent soit mis de manière plus forte sur la prévention et l’éducation à la santé.
Ce sont deux conclusions marquantes du LaboCitoyen « Remboursements dans les soins de santé » organisé par la Fondation Roi Baudouin.
On voit apparaître dans le Labocitoyen les signes d’une nouvelle citoyenneté : des citoyens qui montrent leur pouvoir et qui, en pleine connaissance de cause, veulent avoir leur mot à dire. C’est de la démocratie directe. – Josse Van Steenberge, Professeur en droit social
Les citoyens à propos des soins de santé
On n’avait pas beaucoup d’expérience jusqu’ici de la participation des citoyens à propos des remboursements dans les soins de santé. C’est pourtant un enjeu important, dont dépendent dans une large mesure la qualité, l’accessibilité et la solidarité de notre système de santé.
Le politologue néerlandais Robert Hoppe qualifie les remboursements dans les soins de santé d’enjeu politique non structuré. En effet, la science n’apporte aucune réponse toute faite à la question de savoir comment garantir des soins de qualité, durables et accessibles pour tous. Il n’y a pas non plus de consensus éthique sur les interventions qui doivent ou non être remboursées.
Ces enjeux non structurés exigent une approche délibérative et un processus d’apprentissage. C’est la raison pour laquelle la Fondation Roi Baudouin a choisi des méthodes qui revêtent un caractère exploratoire et une dimension d’apprentissage et qui permettent une concertation en plusieurs phases entre différentes parties prenantes – y compris des citoyens et des patients.
Un cadre politique
Le processus décisionnel sur le remboursement des soins de santé s’inscrit dans un cadre politique donné.
Un cadre politique a été tracé lors d’un atelier réunissant des experts européens en 2012. Il comprend plusieurs éléments importants :
- Les valeurs et les objectifs constituent les fondements de la politique de santé. Les valeurs émanent de la société, les objectifs sont la traduction politique qui permet de leur donner un contenu plus concret.
- Les processus et les structures décrivent comment nous voulons atteindre ces objectifs, le principe d’« accountability for reasonableness » devant constituer le paradigme dominant.
- Les critères sont une traduction de ce paradigme sous forme de normes concrètes et mesurables.
Le LaboCitoyen
Le LaboCitoyen est une méthode innovante destinée à sonder l’opinion des citoyens. Elle repose sur la concertation et la délibération plutôt que sur des techniques d’enquête.
Le Labocitoyen a été suivi par un comité d’accompagnement et par des scientifiques de quatre groupes de recherche qui ont réalisé une analyse du discours.
Au cours de ce labo, 32 citoyens se sont concertés entre eux et ont dialogué avec des experts, des parties prenantes et des décideurs politiques.
Ils sont partis pour cela de cas concrets de remboursement, qui ont alimenté les discussions. Cependant, l’objectif du Labocitoyen n’était pas d’émettre un avis sur le remboursement de traitements spécifiques, mais bien de définir des critères généraux de remboursement dans les soins de santé.
L’ambition n’était pas non plus de parvenir à un consensus, mais bien de récolter une diversité d’opinions solidement étayées.
Les 32 participants au Labocitoyen ont eu la liberté de construire une argumentation large et d’établir des liens. C’est pourquoi les discussions sont régulièrement sorties du cadre strict des remboursements et ont également abordé, par exemple, les soins de santé et la politique de santé, les fondements de la sécurité sociale…
Dans cette vidéo, les citoyens s’expriment sur le LaboCitoyen.
Valeurs
Les citoyens se prononcent pour une assurance-maladie publique basée sur la solidarité et la justice.
Les participants font le lien entre la responsabilité individuelle de chacun par rapport à sa propre santé et la responsabilité de la société, qui doit préserver la solidarité et la justice. Tout choix individuel en faveur d’un mode de vie sain ou malsain a en effet des répercussions sur l’ensemble.
Objectifs
Pour les citoyens, il est plus important d’améliorer la qualité de la vie du malade que de vouloir prolonger son existence.
L’enquête du Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a mis en évidence un résultat similaire.
La qualité de la vie, disent les citoyens, ce n’est pas seulement l’absence de maladie : c’est aussi une question de bien-être psychosocial, d’autonomie, d’interaction avec l’environnement et de dignité.
Les participants au Labo attendent d’un système de soins de santé qu’il réponde aux besoins globaux du patient et de son environnement. Les pathologies complexes, potentiellement fatales ou ayant un impact important et durable sur la qualité de la vie nécessitent des soins multidisciplinaires et intégrés.
Aujourd’hui, on décide au cas par cas de certains aspects du traitement. Il y a un médicament, il y a la kiné, il y a ceci ou ça… Et toutes ces décisions se prennent dans des commissions distinctes. On ne regarde pas l’ensemble. – Un participant au labo citoyen
Les citoyens insistent pour que l’on inverse la logique et que l’on passe d’une politique de la maladie à une authentique politique de la santé, en mettant l’accent sur la prévention, l’éducation à la santé et la promotion de la santé dans tous les domaines de l’action politique.
L’agenda du changement
Des changements s’imposent pour atteindre ces objectifs. Ils touchent aux rôles et aux tâches des acteurs, aux processus décisionnels et aux critères sur la base desquels les décisions sont prises.
D’après les citoyens, l’assurance-maladie doit rester un système public. Les pouvoirs publics continuent à jouer leur rôle de chef d’orchestre et veillent à l’intérêt général.
Le nombre d’acteurs qui peuvent introduire une demande de remboursement doit être élargi de manière à inclure aussi les patients et leurs organisations représentatives.
Le citoyen-patient est impliqué dans le processus décisionnel, ce qui rend celui-ci plus transparent et lui donne un caractère plus démocratique.
La maîtrise du budget passe par des « achats futés », des négociations tarifaires menées au niveau européen et des investissements dans la prévention.
Une fois que des décisions ont été prises, elles doivent pouvoir être revues de manière flexible à la lumière de nouveaux éléments scientifiques ou d’une évolution des besoins. Le processus décisionnel doit beaucoup plus s’inscrire dans un contexte global et multidisciplinaire.
Les citoyens proposent 19 critères et 6 conditions de remboursement. Un rapport validé par eux explique en détail comment ils sont parvenus à ces critères et à ces conditions et quel est le poids relatif qu’ils leur accordent.
Les citoyens ajoutent 11 nouveaux critères à ceux qui sont utilisés aujourd’hui par les décideurs dans les dossiers de remboursement. Les plus remarquables d’entre eux sont la qualité de vie de l’entourage du patient, l’effet préventif, le bien-être psychosocial, l’efficacité en combinaison avec d’autres thérapies (soins intégrés), la qualité de l’investissement et la rareté de la maladie. Les citoyens ont regroupé ces critères en trois grands domaines : la perspective du patient, les éléments médico-techniques et la société solidaire. Les conditions sont celles auxquelles un traitement peut être remboursé à un patient individuel.
Un système d’apprentissage
Comment mettre en œuvre toutes ces incitations au changement pour créer un système d’assurance-maladie de qualité, accessible et durable ? Un modèle d’apprentissage qui est le fruit d’un atelier ayant regroupé en 2015 des experts et des parties prenantes, propose une première ébauche de solution.
Dans ce système, les moyens disponibles pour les soins de santé (input) sont affectés de manière optimale à la qualité de la vie et à la santé (output). Le modèle comporte une composante cyclique qui permet un apprentissage, avec une succession de modules cohérents entre eux (fuchsia) et alimentés par des flux de données (flèches gris foncé) et des flux de participation (flèches gris clair).
Si le modèle proposé fonctionne réellement de manière performante, il se peut que l’on atteigne un état d’équilibre à un moment donné : non pas qu’aucun changement ou qu’aucune évolution ne puisse plus intervenir, mais le système s’adaptera avec flexibilité aux modifications du contexte.
Quel sera l’impact de cet état de stabilité sur les soins de santé en général et sur l’assurance-maladie en particulier ? L’une des conséquences possibles est une décentralisation poussée des décisions. Outre une décision sur le traitement concret, la décision de remboursement pourrait y être liée et être prise beaucoup plus près du patient individuel, par exemple, via la concertation multidisciplinaire entre les soignants.
Attaquez-vous enfin à la mise en place d’un système de santé qui part réellement du patient. C’est ce que nous dit le citoyen. – Ri De Ridder, INAMI
Mais même dans ce scénario, les pouvoirs publics doivent continuer à jouer un rôle de chef d’orchestre pour harmoniser tous les instruments, pour veiller à la répartition du budget, pour garantir le caractère « d’evidence-base » des traitements, etc. Dans le futur, les pouvoirs publics resteront par conséquent le principal metteur en scène du système de santé et le gardien de l’intérêt général.
Forum de clôture, le 18 février 2016
À l’occasion d’un forum public, le 18 février, la Fondation Roi Baudouin a présenté un agenda du changement dans les soins de santé, qui constitue une synthèse de l’apport de citoyens, d’experts et de décideurs. La qualité de la vie doit passer avant la prolongation de la vie, les commissions monodisciplinaires de l’INAMI doivent céder la place à des commissions de remboursement multidisciplinaires, les patients doivent être beaucoup plus impliqués dans les décisions et l’assurance-maladie doit être transformée en une assurance-santé, qui met l’accent sur la prévention et sur le maintien en bonne santé.
Maggie De Block, Ministre fédérale de la Santé, Alda Greoli, Cheffe de cabinet du Ministre wallon de la Santé et de l’Action sociale Maxime Prévot, Luc Detavernier, représentant des Ministres Gosuin et Van Hengel de la Région de Bruxelles Capitale, ainsi que Jo De Cock, administrateur-général de l’INAMI, réagissent. lire la suite